Les révolutions

Krista Fleischmann
Mais les révolutions sont aussi quelque chose de dangereux, en fait, dans l’histoire ?

BERNHARD
C’est ce qu’on dit toujours. Les gens, naturellement, qui sont installés et qui sont inamovibles, qui ont des maisons et des costumes excentriques ou beaux ça peut être très beau aussi -, ceux-là ont toujours peur des révolutions, tandis que ceux qui n’ont rien et se promènent tout nus, eux, ils n’ont pas à avoir peur, pour ceux-là, c’est de toute façon un moment exaltant quand la maison du patron brûle. Là, c’est très bien, mais celui qui a un petit quelque chose, ne serait-ce qu’une tartine beurrée, il veut pouvoir la manger en paix. Si son voisin, qui n’en a pas, la lui fait tomber ou crache dessus, c’est désagréable et répugnant. Moi, à l’école, il y en avait – j’avais toujours un casse-croûte, une tartine – il y en avait un qui venait toujours à la récréation et qui me disait : « Tu me donnes ta tartine », et il le disait en postillonnant tellement que je lui donnais toujours ma tartine à l’instant. C’était aussi une bonne méthode, n’est-ce pas. C’est ce que devraient noter les révolutionnaires : il faut cracher sur ce que possèdent les gens, et il n’y en a plus. S’en moquer, ça ne suffit pas, il faut cracher dessus.

Thomas Bernhard
Entretiens avec Krista Fleischmann
traduits de l’allemand et de l’autrichien
par Claude Porcell.
L’Arche, Paris, 1993

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